Numéro 3, printemps 2003
Dossier constitutionnel : "Droit à la vie, droit à la mort, un droit constitutionnel ?"
Éditorial de Marie-France Verdier,
directrice de la publication
Le droit à la vie et à la mort a toujours suscité des questions éthiques, philosophiques, religieuses, sociétales et juridiques.
Pour Hobbes, dans Léviathan, la loi naturelle fondamentale « interdit aux gens de faire ce qui mène à la destruction de leur vie ou leur enlève les moyens de la préserver ». En effet, pour les théoriciens du droit naturel objectif, le droit à la vie, attribut inaliénable de la personne humaine, constitue le premier de tous les droits ; il est sacré jusquà la mort, et a donc une valeur suprême dans léchelle des droits de lhomme. Dès lors, la société, pour observer la loi naturelle, doit être conforme aux fins de lespèce.
Ce droit à la vie devrait donc logiquement apparaître comme un droit bénéficiant dune protection absolue. Il se traduit, certes, par des interdits : de la torture, des traitements inhumains et dégradants, de lesclavage au nom dune valeur, celle du respect de la dignité inhérente à la personne.
Il faut néanmoins reconnaître la possibilité de conflits entre les droits dune personne et ceux dune autre ; il faut surtout ménager aux valeurs collectives de lordre, généralement associées aux exigences politiques de la raison dÉtat : la morale, lordre public. En conséquence, ce droit est parfois soumis à des limitations et ne bénéficie que dune protection relative. Il en est ainsi du fait de la peine de mort. En outre, la question du droit à la vie savère complexe quant à la détermination de son champ dapplication comme en attestent les solutions contradictoires apportées : à quel moment la vie humaine commence-t-elle et prend-elle fin ? Il apparaît difficile de situer et de fixer le commencement dun tel droit, dès la conception ou postérieurement, et le moment où il prend fin, variable selon quil sagit de dresser un acte détat civil, dadmettre des prélèvements dorganes ou de pratiquer des expérimentations sans finalité thérapeutique sur un malade.
Au-delà, il parait impossible de faire limpasse sur les droits subjectifs de lindividu et lexaltation de ses volontés, sur le droit à lautolimitation personnelle. En effet, dune part, le droit à la vie se trouve en contradiction avec dautres droits et doit donc être concilié avec eux. Ainsi, la question de lavortement se situe au croisement du droit à la vie pour lenfant à naître, du respect de la vie privée pour la mère et du respect de la vie familiale pour le père, parfois même de la liberté dexpression qui commanderait la diffusion dinformations sur les possibilités de pratiquer lavortement. Dautre part, le droit à la vie a pour corollaire le droit de choisir la mort plus que la vie et peut être relativisé par la consécration du droit à la mort au nom de la liberté, de la dignité, de lautonomie personnelle. Ce droit doit-il alors être compris comme un droit seulement de se donner la mort suicide mais aussi de se faire aider à mourir aide au suicide et euthanasie active ? Ou bien ce droit emporte-t-il la faculté de refuser ou darrêter un traitement nécessaire au maintien en vie euthanasie passive , leuthanasie risquant toujours de déboucher sur leugénisme ?
En toute hypothèse, le droit à la vie ne jouit jamais dune protection absolue. En effet, ce droit est concrétisé par des conflits et la recherche déquilibres. La norme de référence implique une constante dialectique dont lissue est dautant plus incertaine que la référence est floue et indéterminée et que les conditions de son interprétation par le juge sont parfois pragmatiques et évolutives. Pour nourrir ce débat, il est important de prendre en considération les évolutions récentes des réflexions, des législations mais aussi des jurisprudences françaises et étrangères dans ce domaine.