Numéro 1, 2001

Préface par Abdelfattah Amor,

Président de l'Académie Internationale de Droit Constitutionnel

 

Le droit constitutionnel est, plus que jamais, en profonde mutation. Il l'est sous l'effet de l'extraordinaire impulsion que lui donne le développement, partout, de la justice constitutionnelle. Mais il l'est aussi grâce à la reconceptualisation qu'il est appelé à subir du fait des transformations substantielles que connaît la société internationale aujourd'hui.
Des valeurs, des principes et des normes à caractère universel, trouvant leurs origines dans des expériences nationales spécifiques ou dans le patrimoine civilisationnel et culturel commun à l'ensemble des États, s'affirment de plus en plus et ont tendance à encadrer, non seulement les législations organiques et ordinaires mais aussi et surtout les législations constitutionnelles. Le pouvoir constituant ne semble plus être de faire abstraction des valeurs et normes que la communauté internationale a tendance à lui imposer.
L'autonomie constitutionnelle, fondée sur la liberté pour chaque peuple de déterminer son statut politique et de développer son système économique, social et culturel, connaît de plus en plus de limites de droit et de fait. La suprématie de la constitution est exposée non seulement aux réserves et nuances de certaines doctrines, mais aussi à une jurisprudence internationale en développement continu qui a permis au Comité des Droits de l'Homme des Nations Unis de noter que « le fait qu'une distinction soit inscrite dans la constitution ne la rend pas pour autant raisonnable et objective » et qu'en conséquence il « rejette l'argument de l'État partie selon lequel le traitement préférentiel octroyé aux écoles catholiques n'est pas discriminatoire du fait qu'il est imposé par la constitution ».
L'ordre constitutionnel est de plus en plus appelé à composer avec un ordre international qui s'affirme de jour en jour et qui érige les droits de l'homme, la démocratie, les élections périodiques et honnêtes, l'État de droit, la non-discrimination, l'égalité et la protection des minorités en références obligées des constitutions des États. L'ordre politique des États fait ainsi l'objet d'un encadrement que la communauté internationale établit progressivement D'un autre côté, l'ordre économique des États trouve de moins en moins, en fait, ses fondements dans les textes constitutionnels et la décision économique nationale devient de plus en plus conditionnée. Les répercussions de cette évolution sur l'autonomie constitutionnelle sont évidentes. L'ordre pénal national est de plus en plus confronté à l'émergence et à l'affirmation d'un ordre pénal international alimenté par les préoccupations de la communauté internationale et trouvant son expression dans la mise sur pied d'une justice pénale internationale dont la compétence peut s'étendre aux plus hautes autorités étatiques sans que les qualités officielles, soient source d'exonération de responsabilité ou de diminution de la peine.
Ainsi, les mutations de la société internationale et leurs effets, notamment, sur l'ordre politique, l'ordre économique et l'ordre pénal des États, confirment et renforcent l'idée de perméabilité juridique entre l'ordre interne et l'ordre international. La théorie générale de l'État et la théorie générale du droit constitutionnel s'en ressentent. Une reconceptualisation de l'autonomie constitutionnelle - tout autant que de la souveraineté - semble devoir s'imposer. Il y a, aujourd'hui, et de manière simultanée, harmonie et contradictions tant en droit international qu'en droit interne. L'espace étatique semble confronté à un espace plus étendu et les frontières sont de moins en moins hermétiques. Le développement prodigieux des techniques de la communication et notamment du réseau Internet, a créé un cyberespace, un espace virtuel qui porte indiscutablement ombrage à la souveraineté et à l'autonomie constitutionnelle dont il implique l'adaptation ou la mise à niveau sans lesquelles elles risqueraient d'être mises en cause. Ce qui est certain, c'est que la stricte séparation entre la sphère interétatique et la sphère étatique est de plus en plus invérifiable.
Les valeurs constitutionnelles nationales et les valeurs universelles semblent être parfois, sinon en confrontation, du moins en recherche d'un nouvel équilibre faisant intervenir d'une part un discours d'universalité que la mondialisation et la globalisation semblent renforcer et d'autre part un discours de spécificité ou d'identité que les réalités nationales et les perversions internationales poussent à conforter et à entretenir.
Le droit constitutionnel, qui exprime les variables nationales, ne peut plus ne pas exprimer clairement les contrastes constitutionnels que la communauté internationale ne cesse d'affirmer et d'entretenir. C'est dire que toute étude de droit constitutionnel engage et présuppose, non seulement celle du droit comparé, mais aussi celle du droit international.
Cette perception, qui a été celle de l'Académie Internationale de Droit Constitutionnel depuis sa création en 1984, a tendance à être relayée un peu partout dans le monde.
L'Association des anciens auditeurs de l'Académie, représentée dans plus de cinquante pays, et les associations nationales d'anciens auditeurs, dont notamment l'Association française. au dynamisme de laquelle je souhaiterai rendre hommage, participent à ce mouvement au service de l'État de droit. Politeia, qui se veut un lieu universel de discussion théorique et qui ne refuse pas les analyses purement conjoncturelles, apporte des éclairages pertinents à un discours qui refuse que les spécificités constituent des esquives et faux-fuyants et que l'universalité soit alibi et prétexte.
Les évolutions d'aujourd'hui nous laissent une grande marge d'analyse et de réflexion. Elles risquent de laisser ceux parmi nous qui tentent de contenir le droit constitutionnel dans les frontières nationales, sur la marge…